Qu'est-ce que l'art martial interne ou Neigong ?


Qu’est-ce que le Nei Gong, ou travail interne ?

 


 

D’après maître Wan Laisheng dans son ouvrage « La somme du Wushu », et contrairement à l’idée reçue, le Nei Gong (littéralement « travail interne ») viendrait du temple de Shaolin. Il s’agit d’une pratique interne, introspective. On considère souvent que Shaolin est le berceau des arts martiaux externes, Wai Gong. Mais le temple serait également à l’origine du travail Nei Gong qui imprègne la pratique des arts martiaux de la famille Shaolin.

 

Da Mo et le temple de Shaolin

Shaolin en effet combine dès ses origines historiques (antérieures à Wudang) les pratiques de Nei Gong et de Wai Gong. Le célèbre fondateur du temple, le moine Da Mo (Bodhidharma) à laissé derrière lui deux ouvrages en guise d’héritage qui l’attestent. L’un d’eux, le « Yi Jin  Jing» traite avant tout du Nei Gong sous sa spécificité des Gong Fa, ou exercices respiratoires spécifiques et de renforcement du corps. Ce travail indispensable afin de se constituer « l’Homme de fer » (Tie Ren) repose sur une assimilation pleine et entière du Qi, l’énergie, par le corps du pratiquant. La lance et le sabre ne peuvent alors dorénavant plus l’atteindre. Au cours du combat, un simple blocage de « l’Homme de fer » peut en outre considérablement blesser l’adversaire. Cela reviendrait à heurter du métal. Ceci est le vrai Nei Gong ! Da Mo n’aborde dans le « Yi Jin Jing » que ce seul aspect de « l’homme de fer » qui fera la réputation du temple, au détriment de l’aspect technique.

Le Wai Gong quant à lui, ou travail externe, mobilise la main, l’œil, le corps (posture et attitude) positions de jambes et techniques d’épaule, de coude, de poignet, de hanches et de genoux. De nos jours, ce sont ces secondes techniques que pratiquent les adeptes de Shaolin. Il s’agit du vrai Wai Gong !

 

Interne ou externe ?

Pourquoi, à titre d’exemple, considère-t-on que le Tai Ji Quan est un Nei Jia, ou une pratique interne ? Il semblerait que ce soit grâce à l’intervention du mythique Zhang San Feng, qui était taoïste. Dorénavant dans l’esprit du peuple, taoïste=Nei Jia, et bouddhiste=Wai Jia. Le contraire du Nei Jia (interne) serait le Wai Jia (externe), cliché entretenu par ailleurs dans l’opinion publique chinoise par l’expression « prendre la tonsure (bouddhique) », en chinois qui se dit « Chu Jia », ou sortir de la famille. Il deviendra dès lors communément admis que le travail externe est réservé aux bouddhistes, et l’interne aux taoïstes. Pourtant, même si l’héritage qu’a légué Zhang San Feng à la postérité est très différent de ce qui se pratique à Shaolin, il n’en demeure pas moins que ce travail de Tai Ji n’était pas à 100% du Nei Gong. Rappelons que certaines biographies du taoïste Zhang San Feng en font un ancien moine Shaolin défroqué ! Il existe en outre d’autres exercices de Nei Gong pratiqués au temple mais qui n’apparaissent pas tous dans le livre de Da Mo. Certaines positions devaient ainsi être exécutées matin et soir, exercices respiratoires qui consistent à inspirer en relevant les paumes des mains tournées vers le ciel, du ventre jusqu’à la poitrine, puis d’expirer en tournant les mains vers le sol et en poussant vers le bas. Le tout à dix reprises. Le pratiquant assidu voit ses flancs se renforcer comme s’ils étaient en acier. Ce mouvement est un exercice emblématique de Nei Gong, et il était pratiqué au temple de Shaolin, au même titre qu’un autre exercice respiratoire (Qi Gong) répondant au nom de « Huo Qi Gong ». D’autres exercices de renforcement (Gong Fa) avec des bambous, comme le « Leng Qi Gong » devaient conduire le pratiquant à ne plus craindre les coups. Mais le problème était que ces pratiques se révélaient par trop puissantes et susceptibles d’endommager le corps ou occasionner des troubles de l’organisme. A ce titre furent inventées des méthodes moins traumatisantes, plus naturelles. Le travail exhorté dans le « Yi Jin Jing » est très intéressant, mais ne conduit pas à l’harmonie et à la souplesse. Il confine au contraire à la puissance ,certes, mais rigide et temporaire. Il permet ainsi de devenir un combattant honorable grâce au travail de « l’Homme de fer », mais jamais véritablement un expert doté d’un excellent niveau. « L’homme de fer » peut s’avérer efficace dans une confrontation ordinaire, contre un adversaire ordinaire, mais se révèle bien peu utile contre un pratiquant confirmé. « L’homme de fer » capitalise en effet sur le renforcement du corps, mais au détriment de la technique et du combat en tant que tel.

 

Style Naturel

Le style naturel est ma spécialité. Je l’ai appris et connais sa spécificité. Il se situe ainsi entre le Nei Gong et le Wai Gong. Le Wai Gong seul disperse le Qi. L’énergie monte dans le corps, et quand vient l’âge, le physique s’en ressent de même que le niveau de pratique.

Le Nei Gong consiste à rendre l’intérieur du corps dur comme du métal, ce qui n’est pas très sain non plus. Le style naturel pour sa part allie interne et externe, force et souplesse. C’est cependant un style à part entière. Tu ne peux pas le dégager sans en connaître les préceptes. Dans un premier temps, c’est le mouvement qui compte, sans force et sans rigidité. Quand l’intention arrive, le Yi, la main atteint son but. Quand tu veux arrêter ta main, elle stoppe net.

 

Ce qui est important, c’est de nourrir le Qi, l’énergie, et le ramener à son origine. On peut appeler cela Qi Gong, qui est le terme moderne pour Nei Gong, ou bien Nei Jia Gong Fu. Si tu parviens à t’accomplir dans le Style Naturel, alors tu deviendras fort et dynamique, esquiveras, sauteras, piques et frapperas sans t’essouffler. Le geste est quelquefois rapide, quelquefois lent, quelquefois dur et quelquefois souple, n’a ni début ni fin et devient imprévisible même pour toi-même lorsque tu es en mouvement ! Les mouvements sont simple, naturels et non forcés, contrairement au style Shaolin. Le Style Naturel, c'est l'adaptation même. Mettre de la puissance devient naturel et spontané. L’esprit n’a pas de forme, en conséquence tu deviens esprit. A certaines reprises tu peux entrevoir la tête du dragon, mais pas la queue...tout devient sans forme, sans bruit, telle la feuille qui tombe de l’arbre.

En outre, plus tu pratiques, et meilleure devient ta santé. Alors quand survient l’âge, tu conserves également ta constitution et ne te vois pas décliner. C’est nôtre Nei Gong. Rien ne transparaît à l’extérieur, mais l’adepte du Style Naturel recèle une force extraordinaire à l’intérieur.

On peut dire que le Style Naturel est influencé par la philosophie taoïste. Ainsi, lorsque tu te meus, tout reste calme. Le calme dans le mouvement. Durant la méditation, enfin, tu découvres le calme dans le calme. La pratique et la méditation ne doivent ainsi jamais être dissociés.

En règle générale, les gens s’attachent à la préservation de la santé lorsqu’ils abordent les méthodes taoïstes. Le travail interne, Nei Gong, découle ainsi naturellement de cette recherche de la bonne santé. Aujourd’hui en revanche la plupart recherchent directement le Nei Gong avant la santé, et cela est tout bonnement impossible. N’importe quel style contribue a la bonne santé, mais avant que de commencer le Nei Gong, mieux vaut avoir déjà acquis le Wai Gong. Cela devient alors très facile, fort des bases solides acquises antérieurement. Il est possible d’acquérir un bon niveau par le Nei Gong uniquement, mais au prix d’efforts beaucoup plus importants.

 

L’origine du Ziran Men ou Style Naturel est obscure et difficile à identifier. Il est possible de remonter à maître Xu Ai Zhi qui aurait inventé le style ou aurait procédé à sa refonte complète. Les postures, les mouvements et la forme naissent dès lors du vide, « Wu Zhong Sheng You ». On parle très peu, on ne transmet pas d’enchaînement. Pour parvenir au Style Naturel, à se que les mouvements naissent et s’enchaînent sans forme, il convient de procéder à un travail qui n’est pas naturel du tout, dans un premier temps. Les Gong Fa, ou exercices fondamentaux de respiration et de renforcement du corps jouent une place prépondérante, mais sont ensuite associés à une pratique du combat qui tend à être la plus naturelle possible, la moins formalisée. Cela n’est rendu possible qu’après un très long et laborieux travail. La finalité de ce travail, l’application de chaque mouvement et exercice n’apparaît qu’au terme de plusieurs années de pratique, ou tout devient clair, souple et adapté. En cela les techniques de combat de Ziran Men ne sont en rien comparables à celles de Shaolin ou de Wudang. Les préceptes qui les commandent distinguent ainsi le Style Naturel de ses illustres aînés.

 

maître Wan Laisheng (extrait du « Wushu Hui Zong », 1928)

Traduit par Maître LIANG Chao Qun et Ludovic Chaker




20/07/2009
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